Par petites touches, Claude Onesta, homme d’idées mais de pouvoir, communiquant hors pair, a réussi à créer un nouveau mode de fonctionnement basé sur le modèle participatif. Le Toulousain de 59 ans – il les fêtera le 6 février prochain – est un intouchable qui chaque jour s’éloigne un peu plus du terrain.

Lors des temps morts, il ne lui arrive de ne pas se lever de sa chaise. Les entraînements, il les délègue systématiquement à Didier Dinart, son ancien chef de défense, aujourd’hui son entraîneur et, à l’écouter parler, son successeur. Car de passage de témoin il est aujourd’hui beaucoup question. Claude Onesta l’a dit et répété, il n’ira pas au-delà des Championnats du monde organisés par la France en janvier 2017. Autant de sujets qu’il a bien voulu évoquer dans le prolongement de son traditionnel point presse.

 

Les entraînements, Claude Onesta les délègue à Didier Dinart, son ancien chef de défense, aujourd’hui son entraîneur et, à l’écouter parler, son successeur. (Photo : Jacques Demarthon/AFP)

 

Aujourd’hui, Claude Onesta n’est-il pas dans une posture avec ce rôle de tribun qui se fout ouvertement de la technique ?

Je le dis très clairement, ce n’est plus moi l’entraîneur ! Ce n’est pas une frustration ou un jeu de rôle. La force d’un staff, c’est vraiment d’associer des compétences complémentaires. Et il se trouve que les séances, ça m’intéresse moins. Attention je ne dis pas que ce n’est pas important. Je fais d’ailleurs en sorte que ça soit pris en charge de manière totale. On est de plus en plus dans le rôle d’un manager général. Un équilibre dans une équipe, ce n’est pas qu’un équilibre du match, du résultat. Trois jours entre deux rencontres, ce ne sont pas seulement des entraînements et des moments de bouffe. On peut ne pas être d’accord, on peut ne pas s’aimer passionnément mais on doit travailler ensemble dans une logique de projet commun.

À chaque fois, que pour régler un problème personnel, quelqu’un met en difficulté le projet collectif, va créer des tensions, des déséquilibres, moi, j’ai à intervenir avant que ça génère des tiraillements et peut-être des embûches. Cet équilibre est très fragile, que ça soit entre joueurs ou à l’intérieur du staff. Quand tu regardes trop le 40x20 (le terrain), tu finis par ne plus voir ce qu’il y a autour. Si je peux même un jour refermé le truc et qu’ils n’aient plus besoin de moi, ça sera encore mieux…

Cela donne parfois des flottements comme on a pu en voir sur le banc contre la Pologne ?

Oui, mais c’est la vie ! La transformation, c’est quelque chose qui va se faire nécessairement avec du flottement. Tous les gens qui ont peur du flottement ne transforment jamais. Sauf que ça ne flotte jamais, mais un jour, ça se casse complètement la gueule !

Préparer la suite, ça se fait très peu dans le monde sportif. Vous êtes à part ?

Oui, je suis à part dans bien des choses mais je ne me nourris pas du fait d’être à part. Cela me correspond et j’ai la chance par les victoires obtenues d’avoir la paix. Et comme j’ai la paix, j’arrive à installer à peu près ce qui me semble profitable à tous. C’est peut-être parce que les autres n’ont pas autant gagné qu’ils n’acquièrent jamais cette forme de liberté et qu’on ne les laisse pas faire comme ils souhaiteraient. Encore une fois, il ne m’appartient pas de choisir mon remplaçant. Je n’essaie pas de caser quelqu’un en force. Je fais en sorte que ce quelqu’un (Didier Dinart) soit légitime par sa compétence, sa performance. Moi mon souci, c’était de passer le relais sans crise, sans rupture. L’équipe de France merveilleuse, c’est une audience améliorée, un éclairage médiatique maintenu, c’est donc des partenaires économiques mobilisés, ça veut dire l’équilibre général du handball français. Aujourd’hui, cela m’intéresse un peu plus que de savoir si on va jouer en 1-5 ou en 0-6. Si je n’avais pensé qu’à moi, je me serai barré au moment où cela m’allait le mieux et j’aurai laissé derrière moi une crise de succession, de conflit d’intérêts…

 

Claude Onesta : « Si je n’avais pensé qu’à moi, je me serais barré. » (Photo : Attila Kisbened/AFP)

 

Mais l’équipe de France va avoir du mal à trouver un aussi bon communiquant ?

Je ne suis pas un super communicant, je dis juste ce que je pense ! Pourquoi voulez-vous que le sélectionneur de demain soit sur le même profil de poste que le sélectionneur d’hier. C’est ça la transformation. Vous, vous demandez quel est l’entraîneur de club le plus performant qu’on pourrait imaginer dans la peau du sélectionneur. Mais moi, ça fait des années que je dis que ce n’est pas le même métier. C’est comme prendre un patron pour en faire un boulanger. Demain, le sélectionneur en charge de l’équipe de France n’aura peut-être pas les plein pouvoirs ou une forme de liberté totale tous secteurs confondus. Peut-être qu’on ne lui confiera jamais l’ensemble des clés du garage. Peut-être qu’il aura la clé de la Ferrari, mais peut-être que le garage sera géré par d’autres… En soi, ce n’est pas grave.

Si l’idée est de dire : on prend quelqu’un d’autre arrivé avec sa maturité, il va commencer par virer tout le monde pour installer les siens. Certains joueurs vont se dire : moi si c’est lui, je me casse. Vous partez d’un moment de bordel pour espérer un moment de reconstruction avant d’envisager un moment de qualité. Nous, on a tout sur place. Ce serait idiot de détruire, de perdre des audiences, des recettes économiques, de régresser. Avoir une vision politique, c’est avoir une vision responsable. Après, ne me demandez pas si demain ce sera Didier (Dinart). Moi, je me dis qu’à chaque fois qu’il avance, il prend la mesure du truc, qu’il s’installe un peu plus. Après, il ne faudra pas lui donner les clés de voitures qu’il n’est pas capable de conduire !

Avant de parler de demain, peut-on parler d’aujourd’hui ? Comment se répartissent les rôles ?

Je le dis souvent aux joueurs, je suis le patron de l’équipe de France. Je n’ai pas de doutes là dessus et je pense qu’ils n’en ont pas non plus. Pour autant, il y a des secteurs que j’ai délégués. Avec Sylvain (Nouet), ce n’était pas pareil même si nous avions commencé à aller vers quelle que chose de similaire. Dans la mesure où il y avait moins de complicité, de proximité entre lui et les joueurs, il fallait que je sois plus proche pour cautionner, mettre du poids sur ce qui se faisait. Aujourd’hui, il y a des organisations tactiques que je ne connais pas. Non parce qu’on me les cache, mais parce que je ne cherche pas à les apprendre et les retenir.

Si la France était six ou septième mondiale, les choses seraient peut-être différentes ?

Oui, c’est l’idée de la laisse enrouleur. Tu peux laisser beaucoup de mou, de liberté car ça fonctionne très bien mais tu peux aussi très vite revenir à quelque chose de très tendu. Je crois beaucoup à ça. Là, ou je pense que notre équipe est la meilleure du monde, ce n’est pas uniquement dans la valeur intrinsèque du terrain mais aussi parce qu’elle a beaucoup progressé à ce niveau. Ce que les autres ne font pas.

Êtes-vous arrivé là où vous le souhaitiez. En l’occurrence, le patron de l’atelier est devenu le chef du garage ?

Parfois, tu aimerais mettre les mains dans le cambouis car tu souhaiterais mettre de grands coups de pied dans le truc, mais tu t’en gardes bien… Si à chaque truc qui ne me plaît pas, j’interviens, par nature, je vais désamorcer celui qui travaille. Depuis le début de la compétition, j’ai même laissé Didier prendre la gestion des joueurs dans l’approche du match. J’essaie de garder le plus de distance, pour de temps en temps, l’alerter sur des choses que je vois arriver ou que je sens. Une forme de grand frère, mais un grand frère qui accepterait que le petit frère n’ait pas forcément la même vision. Parfois, il faut accepter de résoudre le problème immédiat de façon imparfaite mais suffisante car derrière ça va générer moins de problèmes. C’est ce que j’essaie de lui dire… Comme je lui répète : quand je te dis, fais gaffe, ne le vis pas comme une intrusion. De toute façon, je cautionnerai toujours en tant que responsable. Lui, il est là pour arranger les choses, moi parfois je suis là pour les déranger.

 

Didier Dinart. (Photo : Attila Kisbened/AFP)

 

Sur le banc, vous êtes parfois totalement avachi, vous allez finir allongé ?

On ne peut pas gueuler les deux ensemble. J’ai accepté que ça soit sa version qui soit prioritaire. Tant que le discours a une forme de cohérence, je n’interviens pas. Si vraiment, je sens un moment de panique ou de difficulté, je n’hésiterais pas à prendre la parole de manière forte, mais je crois qu’il faut qu’il s’habitue, lui aussi, peu à peu, à assumer la charge des décisions. D’être sous une forme de contrôle, c’est un frein à l’évolution et au bon fonctionnement. Quoi qu’il arrive, il ne se fera pas désosser. Ni par moi, ni par vous. J’irai me mettre entre les deux et je peux ramasser à sa place.

Mais à l’inverse, il ne tire pas les lauriers du travail ?

Tu ne peux pas tout avoir. Il faut qu’il apprenne une petite forme de patience. Oui, il y a des moments ou il doit en souffrir. Quand il voit, Claude Onesta a fait ci, a fait ça… J’ai d’ailleurs essayé de le dire à la télévision après le match contre la Croatie. Je ne vais pas m’attribuer le travail d’un autre. Et quand je le dis, je le pense. Je ne peux pas me couvrir de tous les lauriers ou alors ça devient mon esclave, ce n’est plus pareil ! Comme je lui ai confié, je ne peux pas en faire beaucoup plus. Je t’aide, je m’efface, je te couvre…

N’est ce pas un risque de voir un adjoint savonner la planche ?

Quel intérêt aurait-il ? Je ne demande qu’à partir. Je ne suis pas quelqu’un qui s’accroche. On m’a demandé de rester pour maîtriser le flot des mois qui restent (d’ici le Mondial 2 017). Il y a des moments ou je me dis : je serais bien, moi aussi, dans les tribunes à raconter des conneries avec les VIP. Il serait idiot de me savonner la planche car je m’accroche à rien et j’essaie juste d’être utile.

Vous trouvez le temps de plus en plus long ?

Non quand ça commence à être pétillant comme aujourd’hui mais c’est toujours un peu pareil, le match, le truc… La vie d’un groupe, ça m’intéresse. C’est un laboratoire. Ces moments-là sont passionnants. Par contre, je vois bien que j’ai du mal à me mobiliser ou m’intéresser aux mêmes choses que les autres. Tu me dis, le match de Ligue des Champions entre machin et truc. Personnellement, je ne sais pas ou j’étais mais pas devant la télévision ! Parfois, chez moi, c’est ma femme qui regarde le match. Comme personne ne me dira que je fais chier, il faut que je sois capable de me le dire ! Personne ne dira, t’es nul, dégage, pas même les joueurs ! Il faut donc que je sois suffisamment attentif et intelligent pour me rendre compte qu’au lieu d’être encore utile à quelque chose je devienne un frein ou un boulet ! Quand je dis plus que onze mois, ça ne me gêne pas d’en faire que six ! Voire qu’un… Cela ne veut pas dire que je m’en éloignerai de l’équipe de France… Mes copains m’attendent chez moi, mais ils sont respectueux.

Justement l’après ?

Quoi ? Je ne sais pas. Quand ? Je commence à y voir plus clair… Le handball continue à m’intéresser. Quand tu te regardes dans le miroir, tu te dis : merde, pas mal. Pas moi, mais moi avec les autres. On a réussi à construire une machine à gagner. Je n’ai aucune volonté de laisser partir ça à vau-l’eau. Je resterai par là, dans le truc, je peux même être à proximité de l’équipe de France…